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Université de Montpellier 3 le 2 février 2022.
Sur l'oeuvre globale. 
Rencontre animée par Florence Thérond et Béla Czuppon.

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Cette rencontre a eu lieu à l’occasion de la création de la pièce La Passion de l’obéissance (16 février 2022 à la Baignoire à Montpellier), et de la parution du texte aux éditions Domens, dans la série théâtrale « Tangentes », co-dirigée par Yves Gourmelon. Elle a eu lieu en présence de Cécile Jodowsky-Perra, directrice de Occitanie Livre&Lecture, partenaire de l’événement, et des éditions Domens.

 

Florence Thérond est professeure de littérature.

Béla Czuppon est metteur en scène et directeur artistique de la Baignoire, lieu des écritures contemporaines de théâtre à Montpellier.

 

Florence Thérond. Lydie Parisse est « écrivaine plurielle », comme elle se désigne elle-même, écrivaine dramatique, romancière, essayiste, plasticienne, metteure en scène. Elle est aussi maîtresse de conférences habilitée en Arts du spectacle à l’Université de Toulouse. Elle vit entre Toulouse et Sète. Elle a publié plusieurs ouvrages dramatiques aux éditions L’Entretemps et Domens, des pièces de théâtre (L’Encercleur, La Matrice I, Manuel de l’amour moderne, Les Devenants, L’Opposante), des romans (L’Opposante de la presqu’île, La Mort rose- en co-écriture avec Yves Gourmelon) et des essais sur le théâtre (Beckett, Novarina, Tardieu, Lagarce…) aux éditions classiques Garnier. Sa recherche théorique et sa pratique artistiques sont intimement liées. Elle a réalisé une quinzaine de mises en scène avec la compagnie Via Negativa (anciennement Théâtre au présent) qu’elle co-dirige avec Yves Gourmelon, et ses installations sont présentées dans des galeries, comme la galerie Open Space à Sète (exposition « Chambres d’écoute » en 2019 et « Sète incandescences en 2021) ou des centres d’art ou des lieux d’exposition comme l’installation immersive La Chambre du cercle I présentée au FRAC PACA à Marseille dans le cadre du festival Instants Vidéo en 2017 (également : l’installation déambulation Vidéo « L’Encercleur à La Fabrique de Toulouse en 2016…).

Notre échange d’aujourd’hui va se structurer autour de trois directions principales.

 

Tout d’abord, la pluralité des pratiques, ce besoin de toucher divers aspects de la création, d’explorer des supports variés, cette écriture rhizomique – l’expression est de Pascal Jourdana- ce ressassement, une façon de revenir toujours au même endroit mais avec des variations.

 

Ensuite, la question de l’épopée de l’intime, d’une « saga de l’intime » - l’expression est de Michel Mathieu à propos des Devenants – le travail de Lydie s’inscrit dans le mouvement actuel  de recentrement sur le sujet, le mouvement dans lequel le sujet devient son propre objet. Lydie tisse inlassablement son œuvre de références biographiques – de sa vie, mais aussi la vie des autres : j’insiste sur le fait que cette réflexion sur ton vécu, tes origines ouvre aussi des interrogations sur les existences des autres qui te traversent. Sans souci de véracité – tu n’es pas une historienne – mais plutôt des mythologies individuelles où il s’agit constamment de mêler réalité et fiction.

 

Troisième aspect, cette idée de sortir de soi, d’aller vers les autres à partir de soi, c’est quelque chose qui revient souvent dans tes propos. Parler de l’histoire de tout le monde en parlant de ta propre histoire ou de l’histoire d’une personne de ton entourage comme c’est le cas dans L’Opposante. User de ton histoire personnelle pour évoquer une histoire collective, chercher ce qu’il y a de commun en soi : le temps, la mémoire, la mort, etc. Croiser ta vie avec celle des autres, c’est je crois le cœur de ta recherche, de ta pratique, de ton interrogation aussi sur la littérature.

 

Là où tout a commencé. [ L’Encercleur ]

 

Florence Thérond. Je voudrais commencer cet échange par là où tout a commencé : l’origine, le village, le lieu des origines, qui est évoqué notamment dans L’Encercleur, et je vais commencer par une première question sur ce village d’enfance. Est-ce que tu peux nous parler de tes origines, du village où tu es né, et qui as, comme tu l’as dit, influencé ta manière de voir le monde ? l’importance de l’eau, du bruit « torrentiel des eaux », « l’ivresse des flots » et le bruit aussi des machines de la papeterie où travaillait ton père. L’importance donc de ce paysage industriel, avec ses sons, ses images, ses odeurs. Mais je sais que tu ne veux pas apparaître comme une « écrivaine du terroir », qu’il n’y a chez toi aucune nostalgie de l’enfance, aucune revendication des origines. L’enfance, tu la vois plutôt comme ce lieu d’où il est possible de questionner le réel, le monde, tu la vois comme un principe actif, n’est-ce pas ? Je voudrais que tu nous parles de ce principe actif et de ce village qui revient constamment dans ton travail. Ce lieu de l’enfance, on finit toujours par y revenir. Le thème du retour, du recommencement, du ressassement (présent chez Lagarce) est structurant dans ton travail, il me semble. Revenir et chercher à se recentrer, toujours, mais en opérant un décentrement en en même temps, … Tu dis : « retrouver un état pur de soi, un état centré, un état de conscience, apprendre à désapprendre ». Ce mouvement du retour à la maison familiale, que l’on a aussi chez Lagarce ou Peter Handke, comment le penses-tu ? S’agit-il, comme chez Ernaux, de témoigner d’un monde disparu ? de le sauver de l’oubli ? 

 

Lydie Parisse. Ce village est le lieu où je suis né et qui a influencé toute ma manière de voir, c’est un lieu où je n’habite pas et où je n’ai pas habité pendant de nombreuses années. C’est justement parce que je ne suis pas « une écrivaine du terroir » que c’est le retour après énormément d’années d’absence qui m’a fait comprendre ce que j’étais. Quand j’ai mis la première fois les pieds dans ce village après dix ans d’absence, j’ai traversé un pont, j’ai touché le sol de ce pont - qui n’était d’ailleurs pas le pont de mon enfance car le pont de mon enfance était une passerelle Bailey d’après-guerre, il y avait les flots complètement fous qui passaient en dessous, car c’est un village qui a un niveau hydrographique supérieur à la moyenne du pays, il était souvent inondé et possédait trois papeteries, toute une industrie liée à cette eau. Quand j’ai mis les pieds à cet endroit-là, quelque chose est arrivé,  je suis redevenue l’enfant qui sentait dans ce village. J’ai compris que c’était mon lieu d’écriture, parce que c’est le seul endroit au monde où je ne suis pas à mon échelle, rien n’est à son échelle réelle dans ce village, dans ce village je revois les choses à l’échelle où j’étais quand j’étais petite. Le village m’a interrogé sur le pourquoi, dans nos spectacles, je mets tout le temps de l’eau, c’est en revenant au village que j’ai appris que les flots sont à l’intérieur de moi – pas la mer,  mais la rivière, les torrents.

 

Florence Thérond.  Récemment, tu y es retournée pour y réaliser une fresque. Tu peux nous en parler ? 

Lydie Parisse. On m’a commandé une fresque dans une friche industrielle : l’une des papeteries (Lana) a été fermée et est devenue un lieu d’art, ma fresque était la 3e fresque invitée dans ce lieu en structuration. J’ai réalisé une fresque qui rentre la mémoire du village, la mémoire des papeteries. J’ai peint l’intérieur des papeteries, l’extérieur du village, et en même temps mon monde intérieur : ma maison d’enfance, les maisons dans lesquelles j’ai pu aller, la maison de mes grands-parents, et aussi cette idée de la chambre. Il y a une chambre à l’intérieur de la fresque, avec une femme de dos qui regarde le village. La fresque – qui date de décembre 2019- n’a pas encore été inaugurée car on attendait la fin du Covid-19. Elle a été réalisée dans la salle où on triait les chiffons autrefois. C’était étrange d’être à l’intérieur de l’usine. Ma famille ne travaillait pas dans cette papeterie, nous les enfants on n’avait pas accès aux machines. C’était étrange d’être à l’intérieur d’une usine vidée de ses machines, un ouvrier m’a dit qu’il était choqué d’y pénétrer aujourd’hui, comme si l’usine était un corps sans organes, sans machines, sans le bruit des machines. J’ai réalisé ma fresque là.

 

Florence Thérond. On peut peut-être voir une vidéo présentée pour L’Encercleur ? « L’homme sans tête ».

 

Lydie Parisse.  On a créé des vidéos en 2015 réalisées par Yves Gourmelon et Arthur Leblanc.

Lecture d'un extrait de L'Encercleur (Entretemps 2009)

"Préparez-vous pour affronter la zone. Il pleuvra, il fera froid, mettez vos pulls et imperméables. Mieux vaut avancer pieds nus. Certains endroits seront accessibles, d’autres inaccessibles, et il faudra accepter d’avoir perdu un visage, d’avoir vu recrépir ou abattre un mur, disparaître une odeur. Vous ne pourrez pas faire marche arrière. Vous emprunterez des passages inconnus, vous comprendrez que ce que vous croyez être votre imaginaire est le réservoir de votre mémoire, que partout à l’œuvre elle accomplit des croisements, elle suit des raccourcis, elle accomplit des ruptures. Vous ne serez même plus capable de mesurer votre degré de porosité. Vous ne saurez plus qui vous êtes : une éponge. Vous croirez être dans le passé et c’est l’actuel qui s’imposera à vous. Le temps aura perdu toute consistance et vous tomberez dans des trous. Laissez-vous traverser par eux. Vous croirez repérer un territoire et vous visiterez un non-lieu. Vous-même n’êtes plus habités que d’impalpable. Le pire est ce qui est resté accessible : vous ne saurez comment habiter ce qui de tout temps fait partie de vous."

Florence Thérond.  Pour la déambulation théâtrale et plastique qu’est L’Encercleur, tu travailles sur « l’enroulement ».  L’Encercleur est né de la première page d’un roman non publié commencé en 2006 (dont le premier titre était La Zone). La première version de L’Encercleur, en 2007, correspondait à une visite du monde de l’enfance, un monde étrange entre les univers de Beckett et les récits d’anticipation. Puis, en 2015, une version augmentée qui amène la couleur, l’eau, les paysages (ajout de vidéos). Cet « enroulement », ce sont « les chemins tracés par les vers sous l’écorce des grands sapins » (pour le projet de livre numérique Inside, dont nous parlerons ensuite, tu réactive la même structure), « l’enroulement sur elle-même de l’huître perlière », je reprends tes propres mots. C’est aussi le mouvement de la pensée, qui, de manière spiralaire, plonge en elle-même. L’œuvre est ressassement à partir de ton expérience, comme chez Lagarce encore (et Nancy Huston : « Notre mémoire est une fiction »). Tu proposes donc aux visiteurs de l’installation d’effectuer eux-mêmes un parcours en cercles concentriques, une visite dans 6 espaces sonores à l’intérieur d’une cosmogonie imaginaire, jusqu’au dernier cercle, celui de l’origine et de l’enfance. 

La vidéo que nous regardons a été présentée dans L’Encercleur, une déambulation où tu invitais le public à traverser plusieurs cercles. La chambre du cercle 1 est la chambre de l’origine, la chambre de l’enfance. Dans la vidéo on voit une déambulation rapide, rectiligne, puis on revient sur une autre forme de déambulation, cette fois-ci beaucoup plus longue, circulaire, une espèce d’enroulement. Cette déambulation vient buter à quatre reprises sur cette porte d’entrée de la cour de la maison d’enfance. Ce qui m’a paru intéressant, c’est que la caméra se rapproche toujours plus de l’asphalte, jusqu’à ce que cet asphalte, ce matériau commun, banal, devienne une sorte de tableau abstrait, comme si petit à petit, à force d’avancer, on pénétrait dans un autre univers - tu parles de non lieu, de friche, de réservoir de la mémoire. Tu peux revenir sur ta conception du lieu, sur ce processus d’enroulement ?  Tu compares ton travail à l’enroulement sur elle-même de l’huître perlière, tu parles aussi des chemins tracés par les vers sur l’écorce des grands sapins, peux-tu revenir sur cette façon d’envisager ta pratique et ton travail ?

 

Lydie Parisse.  Ce village m’a fait entrer dans une sorte de sentiment de dépossession, toucher le pont a été un sentiment de dépossession, qui m’a ramené à l’enfance, à l’instabilité de la passerelle qu’on franchissait, tout était en équilibre instable tout le temps, je crois que l’écriture est liée à ça pour moi. Quant à ces lieux de mon passé, le portail de la cour de la maison de mon enfance qu’on vient de voir en vidéo, j’en connais le moindre détail, la moindre écorchure du moindre bois de ce portail m’est connue, est à l’intérieur de moi. Ça me fait penser à une expression de Merleau-Ponty, qui parle de la « chair du monde ». Sur la vidéo on ne voit pas les volets de cette maison d’ouvrier que mes parents louaient à l’usine. Les volets sont restés à l’identique avec les délavés de vert et de bleu. Récemment la maison de mon enfance a été vendue. Je suis allée voir le nouveau propriétaire pour lui demander de me donner les volets au cas où il veuille les jeter, il m’a répondu : non seulement on ne va pas les toucher, mais cette maison est aussi la maison de mon enfance ! Il avait réalisé l’acte que j’avais envisagé sur le plan de l’imaginaire dans Les Devenants, où la fille vient racheter la maison de son enfance : la maison existe mais elle est détruite à l’intérieur, et la Fille y revoit ses ancêtres et des scènes d’autrefois qu’elle imagine puisqu’elle n’a jamais pu les connaître, n’étant pas née alors.

 

Florence Thérond. C’est une maison délabrée qui n’est plus qu’une ruine, où elle entend parler les fantômes du passé, où les morts et les vivants se mêlent.

 

Béla Czuppon. C’est intéressant, cette idée d’un non-lieu qui est aussi un lieu commun. Le labyrinthe que tu proposes, on peut s’y retrouver. L’Encercleur, c’est notre aventure aussi à travers ses scènes, c'est nous qui sommes pris à parti, c’est ce partage-là que tu proposes.

 

Lydie Parisse.

Ce que tu me dis là me fait penser à ce que m’a dit Manuel Pomar qui m’avait interviewée au Lieu commun où j’avais présenté une exposition sur les chambres début 2021, il m’avait dit : tout ce que tu fais est dirigé vers les autres, qui sont inclus à l’intérieur de ton travail. Quand j’écris – l’écriture et la mise en scène sont liées- je me projette dans mon besoin de spectacle participatif. Quand j’ai commencé le théâtre, je refusais le spectacle frontal, la séparation de la scène et de la salle.

 

Béla Czuppon.L’Encercleur, c’est vrai que c’était une installation immersive, mais maintenant, avec Les Devenants, L’Opposante et La passion de l’obéissance, tu es dans le frontal. Est-ce une déchirure ? Comment le vis-tu ?

 

Lydie Parisse. Je me suis adapté aux lieux, les lieux qu’on construit aujourd’hui sont en dispositif frontal, il faut bien s’adapter à cette économie. Mais, comme je l’enseigne à mes étudiants, on peut toujours rompre le 4e mur par des clins d’œil au public, je serais plutôt dans le clin d’œil aujourd’hui. Mais néanmoins j’aime les formes immersives possibles, qui sont possibles dans les arts plastiques, où on est tous dans le même espace, un espace sans scène ni salle.

 

Florence Thérond. Dans Les Devenants, il est question de retour, et l’eau est très présente. Tu peux nous parler des Devenants ?

Lydie Parisse. Dans Les Devenants, la Fille rentre au village et entend parler des fantômes. Les dialogues sont des duos, au départ la pièce était écrite comme une ronde, une ronde qui n’a pas été respectée à la lettre : les boucles ne sont pas complètement bouclées ! Ce sont des dialogues entre les membres de trois générations d’une même famille, les grands-parents, les parents, les enfants. Dans cette scène (vidéo) la grand-mère morte vient parler avec sa petite-fille, c’est une scène de repas avec une vidéo de cascade.  (cette vidéo est visible sur le site lydieparisse.com, via l'onglet "via negativa" et sur vidéo : https://vimeo.com/252714153 )

 

Florence Thérond. Dans la mise en scène, certains personnages portent des masques de lapin. Ils sont des excroissances de la mémoire de la Fille. Ce que l’on a vécu devient irréel, devient mémoire. Comment cet onirisme est-il transposé théâtralement ? Peux-tu nous parler des masques de lapin ?

 

Lydie Parisse.  Dans cette pièce tous les accessoires sont référés au village. Pour les masques, des spectateurs ont fait le lien avec l’univers de David Lynch. Mais il y a un lapin blanc vivant sur scène, le lapin de la Fille.

 

Florence Thérond. Dans tes spectacles, il y a cette façon de plonger le public dans un univers onirique, mais aussi de changer son regard, de provoquer chez les spectateurs un dépaysement sensoriel, un dépaysement du regard notamment, de les solliciter pour les mettre en contact avec quelque chose d’oublié à l’intérieur d’eux-mêmes : retrouver l’enfance comme principe actif en nous. Traverser, mais aussi se laisser traverser, submerger par des trombes d’eau. Plonger dans le vortex (voir l’installation de L’Encercleur), le cercle de la mémoire, dans l’œil du cyclone (la machine à laver de L’Encercleur). L’Encercleur est un hommage à Beckett qui associait aussi le parcours de création et d’écriture à une démarche circulaire où l’artiste se laisse happer dans l’œil du cyclone. Est-ce une « nouvelle manière de voir et de sentir » ?

 

Lydie Parisse. Il m’est difficile de répondre à propos d’une expression que je ne pourrais m’appliquer moi-même – « une nouvelle manière de voir et de sentir » est une expression de Pascal Jourdana, directeur de la Marelle à Marseille où j’ai été en résidence en 2017-2018. Selon lui, dans L'Encercleur, les spectateurs étaient confrontés à des « morceaux de réel » , ce qui modifiait le regard intérieur. On est toujours à l’intérieur dans mes pièces.  Les personnages parlent depuis leur intérieur. Pour La Passion de l’obéissance, des spectateurs m’avaient dit – c’était à Sortie Ouest en 2018 – qu’on est à l’intérieur de la vision des personnages.

Florence Thérond.  C’est dans L’Encercleur qu’il y a une chambre où on entend les clapotis de l’eau, on a vraiment l’impression d’être à l’intérieur d’un cerveau. C’est un lieu-grotte qui donne la sensation de pénétrer dans un organisme vivant. 

Lydie Parisse. Je suis très intéressée par l’imaginaire de la gestation.

 

Florence Thérond. Justement, deux choses me marquent dans tes pièces. Le souci de la sensation, le regard, le son, le toucher. Et aussi la façon dont tu t’empares des objets : les objets de l’enfance – le bocal avec tes premières chaussures ; les collections. Dans une vidéo que j’ai passée aux étudiants (interview au Lieu commun à Toulouse, en ligne sur le site du Lieu commun : https://www.youtube.com/watch?v=agC0BvQ_DLY ) tu parles aussi de cabinet de curiosités, j’ai expliqué aux étudiants que le cabinet de curiosités est emblématique du contemporain, on le retrouve dans beaucoup de romans contemporains, dans  De toutes pièces, de Emilie Portier par exemple (ed. Quidam), mais aussi chez Damian Hirst, Sophie Calle, etc.  Il y une dimension plastique dans ton travail. Comment articules-tu l’écriture à ce travail plastique ? Tu peux revenir sur ce motif du cabinet de curiosités, si obsédant dans plusieurs œuvres contemporaines ? Peux-tu nous parler de tes bocaux ?

Lydie Parisse. Il y a l’idée d’une forme enclose dans le bocal, l’aquarium sphérique, qui ramène à l’organe de l’œil. Quand j’ai rencontré Jean-Luc Parant en 2014, je me suis rendu compte que comme lui je travaillais sur l’œil comme organe et en même temps sur la thématique du regard.  On a réalisé un spectacle ensemble, Les Eblouis, un texte co-écrit ensemble. Je travaille sur mes obsessions mais les regards des autres artistes m’enrichissent. On m’a dit qu’il y avait un rapport avec la démarche des encyclopédistes dans ma manière de faire entrer le monde dans des bocaux. Dans L’Encercleur les bocaux contiennent « les premières fois » : premier regard, première marche, première promenade, etc. Si les collections sont importantes aujourd’hui c’est aussi peut-être que les significations que l’on porte sur le monde partent en déliquescence actuellement, et il est possible que ce soit là une façon de ressaisir quelque chose de concret sur le monde. Je suis bien consciente que mes bocaux renvoient au globe terrestre, mais ce sont aussi des formes encloses, une façon de capter du sens. (voir vidéo : https://vimeo.com/248809861 )

 

Florence Thérond. Tu utilises des objets d’époques diverses, il me semble qu’il y a dans ton travail ce souci de mêler des temporalités très diverses – le passé, le présent, le futur. L’ancien nom de la compagnie était « Théâtre au présent », il me semble que le présent chez toi est traversé par le passé et tendu vers l’avenir, ce feuilletage du temps me paraît très important dans ton travail, il y a un mode presque transhistorique d’être au temps, par les strates temporelles, par les brouillages des temporalités et des époques. Dans Les Devenants, les acteurs n’ont pas l’âge des rôles qu’ils incarnent. Est-ce que ce n’est pas le propre du contemporain de fournir – je cite Lionel Ruffel dans Brouhaha (ed. Verdier) – de fournir  « une représentation palimpseste ou feuilletée du temps où le présent n’en est pas une séquence mais un point de métabolisation de tous les passés et de tous les futurs » (introduction de Brouhaha) ? N’est-ce pas aussi ta manière d’habiter le présent, d’habiter le contemporain : contourner peut-être l’assignation au présent, cette tyrannie de l’actuel que l’on vit aujourd’hui ? Est-ce que le feuilletage des temporalités dans tes pièces, ce n’est pas au fond le propre du contemporain ? 

 

Lydie Parisse. Théâtre au présent, l’ancien nom de la compagnie, était plus banal selon moi, car le théâtre c’est toujours le lieu du présent, une scène passée vous n’allez pas la jouer à l’imparfait, tout doit être actualisé au théâtre. Via negativa, le nouveau nom de la compagnie, est plus fort. Ce qui m’importe c’est moins le présent que la présence. La voie négative, selon Grotowski, est liée au théâtre aux notions de silence et d’absence. C’est un mot qui vient du Moyen-Age, par rapport à ce qu’on ne peut pas se représenter. Quand on écrit pour le théâtre, le silence est une notion importante. Comment faire advenir une vraie présence, à travers l’absence, j’en parle dans mon livre sur Lagarce. Un théâtre entre présence et absence (ed. Classiques Garnier). Le théâtre c’est le mystère de la présence. Pour revenir à la notion d’actuel, il me semble que l’écriture est une fuite, une fuite hors de l’assignation au présent. Il me semble qu’aujourd’hui il y a de plus en plus une réflexion sur la légitimité de l’artiste et de l’écrivain-e, la légitimité est souvent donnée par l’origine, qui est confondue avec l’identité, mais on n’en sort pas car l’identité envisagée comme origine, ce n’est ni le lieu de l’imaginaire ni celui de la création. De même, on polarise sur des thématiques, mais comme le disait Lagarce, ce ne sont pas les thèmes qui sont importants, c’est la langue, tout est dans la langue. Les thèmes varient peu. On oublie le présent, ou la capacité d’être dans l’instant, sur le plan charnel. L’instant m’intéresse davantage que le présent. L’instant ou la capacité d’être là. Quand sommes-nous là ? Pas souvent, à mon avis.

On s’encombre en permanence de discours sur la réalité. Par exemple quand on parle de posthumain, on ne se demande pas ce que c’est qu’être humain. Ecrire, c’est aller à l’envers, c’est reprendre tout à l’envers pour se retrouve à l’endroit, au bon endroit. 

 

Florence Thérond. Tout comme le retour.

 

Lydie Parisse.  Le retour ce n’est pas le retour sur soi, c’est un retour où on se remet constamment en cause, sur le mode de la spirale, de l’interrogation permanente, et pas comme une assignation à l’origine.

 

Florence Thérond. Je suis d’accord avec toi sur la question de la matérialité de la langue. Ce sont les mots qui créent le monde, qui créent le réel. Pour Elfriede Jélinek, le langage est une entité à part entière, il a une matérialité, il est personnifié, cette « langue chienne » dont parle Jelinek, qu’on voudrait bien maîtriser mais qui vous emporte, et qu’on pourrait rattacher chez toi à l’image des flots de la rivière. Cet emportement des mots par le langage, je pense que c’est quelque chose qui est très fort aussi chez toi, cette relation à la langue. Ce que j’aime beaucoup dans ton travail c’est ta langue, ta façon de creuser les mots, de les malaxer. 

 

Lydie Parisse.  Pour rebondir sur Jelinek, je pense à David le Breton, un anthropologue qui a écrit Disparaître de soi (il aime beaucoup L’Opposante). Il dit que les mots que nous mettons sur le monde font le monde, par rapport à la maladie d’Alzheimer notamment. S’absenter du monde peut être un choix (j’établis ici un lien avec L’Opposante).

 

Une chambre à soi.  [ « L’illimité intérieur »/ projet de livre numérique /Inside ]

 

Florence Thérond. Je te propose de passer au second point : le motif de la chambre, qui est vraiment structurant dans ton travail. « Tout homme porte une chambre en lui », écrivait Franz Kafka, c’est une citation que tu utilises.  Je lis :

 

« Quand j’ai eu une chambre à moi, j’ai commencé à écrire, quand j’ai une chambre à moi, j’é quand j’ai eu une chambre à moi, j’ai commencé à écrire, quand j’ai eu une chambre à moi j’étais encore petite, la chambre était juste à côté de la forêt, j’ai ramassé des feuilles de chêne, j’ai écrit dessus, dessiné dessus, puis j’ai continué sur des feuilles de la papeterie, il y a eu des livres-poèmes, des portes-poèmes, des meubles-poèmes, j’ai tout caché dans le mur de ma chambre. »

 

Ce texte est issu de l’installation « Chambres d’écoute », qui se veut une invitation à explorer nos espaces intérieurs, à nous demander ce que pourrait être, pour chacune et chacun d’entre nous, notre chambre véritable. Ce motif de la chambre, avec un personnage de dos, assis ou debout, qui nous invite à regarder à l’extérieur, ce motif est présent dans tout ton travail plastique, dans tes dessins par exemple, dans les vidéos que tu as réalisées pendant quatre ans avec Yves Gourmelon. Je propose de regarder une vidéo.

 

Lydie Parisse. Bien sûr, mes références sont Dali, Caspar David Friedrich, il y a l’idée de projeter le regard des spectatrices et les spectateurs par le cadre d’une fenêtre, de provoquer la contemplation. Ce travail a pris un tout autre sens quand est arrivé le confinement. On est coincé dans un espace, qu’est-ce qu’on fait ? C’est devenu la question centrale : la question de l’enfermement et de la liberté. Comment je trouve ma liberté dans l’enfermement ? Nos enfermements sont-ils vraiment extérieurs ? intérieurs ? C’était une expérience extraordinaire pour réfléchir là-dessus. Lors de ce que j’appelle « le Grand confinement » de 2020. Pourquoi de dos ? Je ne veux pas me montrer de face, je ne veux pas qu’on me voie, le personnage est là pour être traversé par ceux qui regardent. La femme (moi) regarde, elle est regardée par la caméra, mais ce que Yves voit derrière la caméra, ce n’est pas ce que je vois moi, et la personne qui va regarder Yves ne verra  ni ce qu’a vu Yves, ni ce que je vois moi. C’est une mise en abîme du regard. C’est un vrai mystère, le regard, depuis l’enfance je suis fascinée par les instruments optiques, les loupes, les jumelles… Dans mon premier spectacle il y avait vingt loupes. Chacun ne voit pas la même chose, d’ailleurs je fais des expériences en ateliers d’écriture déambulatoire avec les étudiants pour travailler sur le regard (je vais la proposer à vos étudiants de master, ici à Montpellier ): on se place au même endroit, et personne n’a vu la même chose. Ça intéresse notre singularité : pourquoi on est au monde ? Qu’est-ce qu’on voit du monde ? Qu’est-ce que c’est que la singularité ? Au-delà du narcissisme - cultivé par les réseaux sociaux notamment -, qu’est-ce qui fait notre présence au monde ? 

J’écrivais sur les chambres avant le confinement. Dans L’Encercleur, inspiré de Beckett, les spectateurs sont invités à visiter trois cercles, le but étant d’arriver au cercle 1, au seuil de la chambre où on ne peut entrer, parce que c’est la chambre du for intérieur, du mystère. Cette chambre, c’est la chambre du cercle 1. C’est une chambre blanche, qui est un espace entre le dehors et le dedans. Dans l’installation au FRAC en 2018, c’était une chambre d’enfant avec des nounours et des poupées blanches, sur laquelle on projetait une vidéo de chutes d’eau : on pouvait y voir les eaux baptismales, et toutes les interprétations possibles. En tous cas, la chambre était le lieu de démarcation entre l’intérieur et l’extérieur.

 

Béla Czuppon.  Tu parles de regard, mais tu as appelé ça « Chambres d’écoute ». Il y a le regard mais il y a l’écoute. (voir lien : https://www.lydieparisse.com/chambres-en-projet )

 

Lydie Parisse. Pendant ma résidence à la Marelle, j’avais récupéré une affiche avec l’inscription « Ecoute » dans une installation à la Friche Belle de Mai. Je l’avais posée sur la table de ma chambre, on obtenait une table d’écoute ! J'écris sur une table, et en même temps je suis une greffière, une enregistreuse de tout ce qui se passe autour.

 

Béla Czuppon.Par rapport au son ? 

 

Lydie Parisse. Le son est fondamental pour moi. L’écoute, c’est l’écoute des rumeurs, des voix, de tout ce qui peut faire qu’on peut vivre aussi des instants épiphaniques dans notre vie.

 

Florence Thérond. Tu n’as pas été tentée d’écrire pour la radio ?

 

Lydie Parisse. J’avais un projet avec L’Echo des Garrigues à Montpellier, j’aurais voulu faire une version radiophonique de L’Encercleur. Les sons, c’est le bruit de la marche, le quotidien, la rue, c’est aussi la musique, la voix. J’aimerais faire une version radiophonique de La Passion de l’obéissance.

 

Florence Thérond. Cette question des chambres, qui a eu une actualité brutale avec le confinement lié à la pandémie, s’est trouvée réactivée dans ton travail. La chambre qui te hantait tellement est devenue un espace obligé du confinement. La chambre comme espace d’enfermement obligé, mais aussi d’une liberté retrouvée. Tu peux nous expliquer comment à ce moment-là tu as réinvesti ce motif de la chambre et à quels nouveaux enjeux il s’est trouvé relié dans ton travail ? Là, je projette en vidéo la structure de ton ouvrage en préparation, un livre numérique, à partir de textes que tu as écrits pendant le « Grand confinement », comme tu le dis. Peux-tu revenir sur les textes écrits pendant le confinement et expliquer le projet Inside ? 

 

Lydie Parisse. Vous voyez l’organigramme du projet Inside, un projet dont on parle depuis plusieurs années et qu’on va aboutir cette année avec Pascal Jourdana aux éditions numériques de La Marelle. L’idée est de partir des chambres, ce sera une déambulation. On a plusieurs objectifs pour ce livre. D’abord, d’utiliser le livre numérique comme un espace où on entre. Les livres numériques sont créés pour mettre en scène l’écriture, le signifiant sur la page, mais j’ai besoin d’espaces en 3 D, l’idée est de faire entrer les lecteurs dans six chambres à partir de textes qui ne sont pas à proprement parler des « journaux de confinement », mais des textes publiés dans diverses revues pendant le confinement. A la demande de Pierre Monastier pour la revue en ligne Profession spectacle. D’autres textes ont été publiés dans Lokko et dans Altermidi.org. Pour chaque texte de cette série (il y en a onze), je m’étais donné la contrainte d’aborder un paradoxe autour de notre présente au monde : les titres sont « l’illimité intérieur », « le lointain proche », « derrière le noir de la nuit », etc. (voir : https://www.lydieparisse.com/actualites ). J’ai suivi deux directions : parler de l’épiphanie et de l’utopie. Deux dimensions de notre présence au monde. La chambre est le point de rencontre entre le collectif et l’intime. Le principe est celui d’un labyrinthe, les lecteurs choisissent le parcours qu’ils veulent, en choisissant d’entrer dans six salles, qui proposent ensuite des parcours à six entrées thématiques (six, ou trois ou quatre, la symétrie étant rompue par moments) : il y a l’entrée « personnages », l’entrée « natures mortes-vivantes », l’entrée « chambres », l’entrée « thèmes », l’entrée « questions », l’entrée « paysages ». La présence animale est très importante, mon prochain texte de commande portant sur l’animal. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il y a dans Inside une unité de temps et de lieu : tout se passe à partir du lieu et du temps du confinement, mais par l’imaginaire on peut voyager dans d’autres lieux. Le but est aussi d’ouvrir sur des thèmes : trous noirs, temps, liberté, origine, regard. Et sur des questions philosophiques. C’est tout un parcours de lecture.

 

Florence Thérond. Avec une reprise des textes que tu as écrits ?

 

Lydie Parisse. Oui, une partie. L’intérêt du livre numérique, c’est que je peux l’habiter avec du son, de la vidéo, de l’image. Il y aura une unité de temps, une unité graphique, et à partir de cela l’idée sera d’ouvrir des fenêtres. Le principe de la fenêtre jouera à plein, car à chaque parcours on ouvrira une porte ou une fenêtre, il y a quelque chose de ludique et d’enfantin dans cette démarche. Ce n’est pas du tout un livre homothétique.

 

Florence Thérond. Pourrais-tu lire un extrait de « L’Illimité intérieur » ?

 

Lydie Parisse. Lecture d'un extrait de "L'illimité intérieur"

(publié dans Profession spectacle)

"Après Le Grand Confinement, nos lieux intérieurs, pourrons-nous toujours dire que nous ne les avons pas explorés ?

Dans ma chambre, hier matin, tu es venu m’apporter quelques fruits coupés et un bol de thé, tu as glissé le plateau sur les draps et tu m’as dit : « Bienvenue sur notre île déserte. » Le soleil arrosait la campagne, au loin les corbeaux ne sautillaient pas encore sur les labours pentus, et je me disais qu’en effet, ce paysage brûlé ressemblait à un désert, un faux désert de pruniers en fleurs, de tulipes rouges, d’iris mauves éclos du jour, mais aussi à un vrai désert sous le soleil arrêté. Dans la haie de troènes au bord de la route, les abeilles bourdonnent entre les branches, mais faiblement, bien plus faiblement que jadis. Il faut tendre l’oreille pour les entendre. Dans le jardin, un bourdon fait entendre sa voix discordante sur les touffes par milliers de corolles blanches, un seul bourdon pour tout un jardin isolé dans un paysage de monoculture intensive, un seul bourdon pour cinq figuiers en fleurs, un jeune cerisier et un vieux pêcher.

Au début, le gouvernement français a pris les citoyens en tenaille entre deux injonctions contradictoires : se déplacer pour voter au premier tour des élections municipales et rester chez soi pour éviter toute contagion.  Nous avons été invités à exercer notre droit de vote et en même temps à nous retirer, à exercer notre devoir de retrait.

Et je me dis :

Que va nous apprendre le Grand Confinement ? Nous rendra-t-il plus mûrs ?

Dans ma chambre, ma solitude est peuplée des voix des vivants et des morts. En ces temps troublés, des parents reçoivent des appels d’enfants qui avaient oublié leur existence, des familles fâchées se reparlent, et j’appelle ma mère chaque après-midi à deux heures, alors qu’avant je ne lui téléphonais pas même une fois par semaine. Simone Weil pensait que ce qui nous fait humains, c’est bien sûr la lutte pour nos droits, mais aussi pour nos devoirs, en 1943 elle avait même écrit un prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain. Qu’est-ce que nous devons ? Qu’est-ce qui nous est dû ? Cesare Pavese nous donne une leçon d’humilité dans Le métier de vivre. « Rappelle-toi toujours que rien ne t’est dû. En fait, que mérites-tu ? La vie t’était-elle due, quand tu es né ? », et il poursuit : « Comme elle est grande, cette idée que vraiment rien ne nous est dû. Quelqu’un nous a-t-il jamais promis quelque chose ? Et alors, pourquoi attendons-nous ? Et pourtant, c’est simple. Quand on n’existe plus, on meurt. Et voilà. »

Avant la Grande Sortie, on pourra nous contraindre à nous enfermer, on ne pourra pas nous empêcher de rêver à un monde meilleur."

 

Personnages féminins [ L’Opposante ]

 

 

Florence Thérond. Pour L’Opposante - un texte que j’aime beaucoup, à la langue magnifique -, tu as pris pendant dix ans des notes sur une personne réelle, ta belle-mère, une très vieille femme, qui ne parlait pas. Cette femme portait en elle un secret bien gardé : sa liaison avec un soldat allemand pendant la guerre. Et cette femme va devenir le support d’une légende, une histoire vraie qui fait légende, cette femme qui se tait, qui ne parle pas, va petit à petit devenir dans ton texte, dans ton imaginaire, une résistante, une opposante. 

Lydie Parisse. Sylvie Germain m’avait écrit que L’Opposante est « une femme discrètement, mais résolument insoumise ». Elle a beaucoup aimé le texte.

Florence Thérond. C’est un texte sur le grand âge, mais bien au-delà. Yves Gourmelon joue le personnage de sa mère et a lui-même écrit un texte sur sa mère : Lettres de l’ami allemand (Domens 2018).

Lydie Parisse. Un spectacle qui a démarré en 2015 et sera repris en novembre 2021 à l’espace Culturel l’Améthyste à Crozon, sur  le lieu-même de l’écriture de la pièce.  

Florence Thérond. Je propose qu’on entende un extrait de L’Opposante.

Yves Gourmelon. Lecture d'une scène de L'Opposante (Domens 2015)

 

"C'est le printemps, dans neuf mois je serai morte, 

hier c'était Pâques, dix-neuf heures dans mon lit médicalisé à une place, vous êtes passés me voir, 

j'ai besoin de deux morceaux de toblerone, 

pour le deuxième allez le prendre dans la réserve de toblerone, au-dessus du frigo dans la kitchenette, puis vous me donnerez quatre gorgées d'un verre d'eau.

Sur mon balcon, les marguerites explosent avec le printemps, les marguerites, elles sont devenues trop grandes, elles débordent des bacs, c'est fatigant toute cette débauche de vie des végétaux, 

on peut pas être tranquille,

mais j'aime les fleurs, c'est ainsi, c'est le printemps, 

faut bien. 

Depuis mon lit je les regarde, c'est un vrai petit jardin, je les regarde en mâchant mon toblerone, moi qui vis au ralenti, les noisettes me gênent dans le toblerone, je les enlève et les dépose au fond de vos mains. Vous allez dans ma salle de bain, vous allez découvrir mon cœur croisé playtex blanc, vous allez penser que c'est une coquetterie de ma part, depuis bien longtemps je n'ai plus de gorge à soutenir, j'ai plus de chair, plus rien qui ressemble à des formes, et pourtant, je me soutiens, 

faut bien. 

 

Quel âge j'ai, déjà? Je le demande à mon fils aîné tandis qu'il est penché sur mon lit :

 

J'ai quel âge ?

 

Quatre-vingt dix sept ans. 

 

C'est pas vrai? 

 

Tu es bientôt centenaire, maman.

 

Je vais ... encore pouvoir résister ... pas jusque là ... je peux résister ... ils vont me donner des choses... pour être plus forte ... avoir la force ...tu as combien d'enfants ? quatre ?

 

Non, trois.

 

Ils ont quel âge? 

 

Trente-trois ans, vingt-deux ans, quinze ans.

 

Ils sont gentils ?

 

Oui, ils sont gentils.

 

J'ai mal à la tête, j'espère que ça va passer ... tu penses souvent à ta mère? 

 

Oui maman, je pense souvent à toi, je pense souvent à toi, je pense à toi.

 

Les Anciens sont fatigués, fatigués ... Dehors, il fait froid ? 

 

L'infirmière me donne un cachet de doliprane. J’ai  presque disparu sous les couvertures, mon corps n'a plus de volume sous les couvertures, il est devenu presque plat.

 

Je sais que vous pensez que malgré cette mort apparente, je suis vivante, je suis bien vivante, je pétille encore, je suis aussi vivante que vous peut-être, 

 

Vous êtes bouleversés.

Vous vous demandez ce que c'est que le seul fait de vivre. 

De mes coudes qui ne peuvent plus s'accouder,

de toute ma masse devenu friable, 

de mon visage émacié tout retiré vers l'intérieur,

de ma carcasse proche du squelette d'oiseau,

de ma peau si transparente qu'elle laisse voir mes veines roses et bleues, 

de ce printemps qui est un défi et une insulte,

vous voyez bien que j'aimerais pouvoir me mettre à l'unisson, 

déployer mes pétales,

faire briller mes étamines,

ployer doucement sur ma tige,

et savourer, l'espace d'un instant, l'immobilité sereine de la fleur,

moi qui suis comme les fleurs condamnée à l'immobilité,

les fleurs sont mes sœurs,

être fleur je ne sais à quoi ça ressemble,

je ploie toujours plus vers le sol,

mes yeux sont à la surface de la terre,

cette terre que je redoute de quitter.

Ici, maintenant, dans ma chambre, c'est le crépuscule, les ombres s'agrandissent, le jour finit, et là, tandis que vous me tendez un café dans la chambre,

toutes les puissances du monde sont là, 

vous le sentez, 

toutes les puissances du monde sont dans ma chambre, 

elles sont là, comme des servantes attentives, elles ignorent que le soleil couchant soutient au-dessus de l'abîme le drap que ma main retient, et qu'il n'y a pas un seul astre qui soit indifférent au mouvement de ma paupière qui retombe.

Et vous assistez à travers moi à la cruauté vitale de la vie.

N'est-ce pas en ce moment, ici, maintenant, alors que le soleil se couche dans ma chambre, alors qu'un petit grain de pluie agite les marguerites qui débordent du bac sur mon balcon, alors que l'horizon devient rose sur la Presqu'île, n'est-ce pas à ce moment précis où mes paupières s'ouvrent vers vous qui vous penchez en silence sur mon lit médicalisé pour replacer un oreiller derrière ma tête, n'est-ce pas maintenant que les grandes inquiétudes vont commencer, maintenant que tous les dangers de ma vie sont passés, n'est-ce pas maintenant que commence pour moi, pour vous, 

l'étrange et silencieuse tragédie de l'être?"

Rage et jeunesse.  [ La Passion de l’obéissance ]

 

Florence Thérond. 

Dans La Passion de l’obéissance au contraire, c’est la jeunesse que tu vas explorer, notamment à travers une fille-fleur, Pétunia.

Béla Czuppon. Je viens de relire la pièce. Une vitalité traverse tout le texte, non seulement une vitalité, mais… Pour revenir à L’Opposante, c’est un texte sur le grand âge, certes, mais quand il a joué à la Baignoire, je l’ai toujours vu avec un grand sourire, quelque chose d’extrêmement lumineux dans cette femme, elle est l’opposante qui va vivre jusqu’au bout, son secret lui appartient, il y a cette revendication, ce texte sur le grand âge est un texte extrêmement tonique, je le trouve extrêmement tonique,  extrêmement réjouissant, il est très beau à voir, à entendre et à dire. 

Dès les premiers mots, on se dit, non, elle ne va pas le faire, surtout maintenant. On nous parle d’un attentat, et là, attention, danger, où Lydie va-t-elle mettre les pieds ? Et très vite, on retrouve des thématiques familiales, des thématiques de transmission ou de non-transmission, d’amour et de désamour, et une espèce de cercle de la vie qui fait qu’à un moment les êtres, les choses se retrouvent à un endroit précis dans le monde et se télescopent. Et où justement se pose la question : est-ce qu’on peut sortir du cercle ? Comment sortir du cercle ? Comment sauver ? Se sauver ? -  je ne sais pas si le mot « sauver » est juste-. Comment aller trouver sa propre voie quand on a manqué tellement et d’affection, et d’amour, et d’écoute ? Et l’obéissance ? Pour moi dans La Passion de l’obéissance, il y a l’obéissance de ce kamikaze (dont je ne dirai rien) : c’est l’obéissance à une injonction supérieure qui appuie sur des failles, mais le mot qui me reste, c’est celui de « passion », plus que celui d’«obéissance ». Tout à l'heure, on a parlé de temps bouleversé, des époques bouleversées. On a là une façon de construire le récit, la pièce, où les époques se télescopent, on se retrouve dans une espèce de cercle, de boucle, de permanence aussi, de circularité du temps. C’était le cas de L’Opposante : à un moment, on voit une parole qui se prend à partir d’un ailleurs, on décolle du réel, depuis un hélicoptère.

 

Lydie Parisse. Tu as beaucoup aimé l’hélicoptère dans L'Opposante ! Tu avais mis une image d’hélicoptère sur le programme de la Baignoire quand la pièce a été programmée !

 

Béla Czuppon. J’adore ! C’est un moment de lévitation tout à fait concret, et en même temps joli et plein d’humour. Il y a toujours cette idée de surplomb, c’est un voyage. Pour La Passion de l’obéissance, je laisse tout ouvert ? (le public va découvrir la pièce dans 2 semaines) mais on peut parler de l’histoire. On peut dire que l’attentat a lieu au Maroc, que c’est un cadeau de voyage offert à Odette (la mère, la cinquantaine), que ce voyage devait être la rencontre avec le plus grand bonheur et qu’elle a été la rencontre avec le plus grand tragique.

Lydie Parisse. Ce qui m’intéresse, c’est l’endroit du paradoxe. Les personnages sont tous jeunes, sauf la mère. Ils ont une vingtaine d’années – Pétunia, le kamikaze, la rescapée de l’attentat. J’avais envie de travailler sur la rage de la jeunesse, la rage de vivre, le surcroît d’énergie. Que fait chaque individu de cette énergie, comment chacun la gère ? 

 

Ludivine Bluche.

Lecture d’un extrait de La Passion de l’obéissance (Domens 2022). 

(voir viméo, chantier 2018 : https://vimeo.com/397316824)

PETUNIA.– J’AI VINGT ANS Je mourrai dans une voiture carbonisée

la portière ne voudra pas s’ouvrir je mourrai

personne ne me sortira de là

et ce sera tant mieux 

Comme le taureau dans l’arène je n’aurai aucune chance devant le picador 

je mourrai

aucune chance

et ce sera tant mieux

Aurai devant moi la vie toute la vie devant moi 

n’en ferai rien

et ce sera tant mieux. 

Ne voudrai pas entendre parler de l’AVE-NIR

n’aurai pas d’A-VE-NIR ne croirai en rien

et ce sera tant mieux. 

Me moquerai des optimistes serai pessimiste 

et ce sera tant mieux

Ne croirai pas en la vie

seule la mort vaut la peine d’être vécue

la mort oui 

et ce sera tant mieux 

Ne voudrai pas faire semblant 

et ce sera tant mieux 

Ne rassurerai pas les autres

ne me rassurerai pas moi-même

et ce sera tant mieux

Prônerai le désespoir absolu et ce sera tant mieux

 

J’AI VINGT ANS la mort fera partie de la vie 

succomberai à l’excès de ma propre force

et ce sera tant mieux

Me tuerai moi-même

et ce sera tant mieux

Ferai la fête pendant une semaine

deux semaines

à fond 

inventerai des situations paroxystiques

tout penser

tout sentir

tout fixer

puis mourir                

et ce sera tant mieux 

Soumettrai tout à la question 

et ce sera tant mieux 

Voudrai tout tout de suite

et ce sera tant mieux

Certains regrettent de ne pas avoir assez vécu

regretterai de ne pas avoir assez mouru 

et ce sera tant mieux

 

J’AI VINGT ANS                                        

me révolterai contre la famille contre la société

m’habillerai de noir 

de temps à autre  placerai une rose rouge à ma boutonnière 

et ce sera tant mieux

La nuit porterai un chapeau noir

frôlerai les murs me rêverai redoutable

me sentirai un monstre et un paria 

et ce sera tant mieux 

Aurai envie d’atteindre quelque chose comme le « fond » de moi 

Me donnerai à qui j’aimerai comme à une sorte de « dieu »   

et ce sera tant mieux

                                                                        

J’AI VINGT ANS                        

Cultiverai les possibles irai vers les sondeurs de vertiges

et ce sera tant mieux

Les chiens hurleront le soir dans les campagnes ils hurleront contre les étoiles à l’est 

contre les étoiles au sud contre les étoiles au nord

contre les étoiles à l’ouest contre les montagnes

Les chiens hurleront contre la lune contre les fleuves 

contre l’air froid contre le chaud 

contre la nuit Ils hurleront contre le jour 

contre les chouettes contre les serpents 

contre les lièvres contre les crapauds

contre les arbres contre les feuilles contre les chemins

contre les fossés

Ils hurleront contre les champs contre les herbes  

contre les pierres

contre leurs propres aboiements 

qui les effraieront eux-mêmes 

et ce sera tant mieux

 

Florence Thérond. Ce texte, tu l’as écrit il y a très longtemps ?

Lydie Parisse. C’est le plus ancien de tous les textes que je publie !

Béla Czuppon. J’ai lu une version plus ancienne de La Passion de l’obéissance. Il y a une transformation dans l’écriture entre le premier texte que j’ai lu et cette épure. C’est un travail alchimique. La gestation du texte a été longue. Comment tu as pensé ce travail de macération, ce travail de découpe ? Est-ce que c’est un travail particulier à La Passion ou est-ce que tu travailles toujours comme ça, par arrachement, désherbage ? Comment se passe ton travail très pratico-pratique à ta table ?

Lydie Parisse.  C’est du désherbage permanent, je déteste la littérature bavarde, c’est pourquoi j’ai beaucoup de mal à lire des romans, j’aime la poésie, pour que j’aime un roman il faut qu’il porte une parole théâtrale. Je coupe, j’élague. Je ne sais plus quelle version tu as pu lire.

 

Béla Czuppon.Il y a deux ou trois ans.

Lydie Parisse. J’ai coupé des éléments, dont une scène où Pétunia allait dans la famille de sa mère après la mort d’Odette : sa famille avait rejeté sa mère et elle voulait réparer cette blessure. C’est l’un des sous-bassements invisibles de la pièce. la Passion de l'obéissance fait partie d’une vaste saga familiale, comme (presque) tous les autres textes, dont L’Encercleur. J’ai écrit L’Encercleur après dix ans d’absence au village, et Les Devenants encore dix ans plus tard. A ce moment-là j’ai écrit aussi une matrice romanesque (Corps perdus) qui entrecroise des monologues féminins divers. La Passion de l’obéissance est issue de cette matrice romanesque d’où sont extraits les personnages. Odette est une sorte de « page blanche » reliée aux autres personnages de la saga familiale, : elle est inspirée d’une personne réelle dont je ne sais rien, elle a donc été pour moi une page blanche, j’ai pu inventer entièrement ce personnage. Dans le texte que tu as lu, j’avais établi un lien avec cette matrice, cet univers familial. Il n’en est plus question dans la version actuelle.

Béla Czuppon. Quelque chose me crève les yeux, mais c’était tellement évident qu’on ne l’a pas nommé : tu es une femme. Nous avons le destin d’une femme dans L’Opposante. Dans Les Devenants il est question de transmission féminine. Dans La Passion de l’obéissance, il est aussi question de transmission, les femmes sont très au centre. Est-ce une caractéristique revendiquée ? Est-ce un positionnement ?

Lydie Parisse. Tu as raison, je suis une femme, mais quand j’ai commencé à écrire, j’écrivais à travers un narrateur masculin (pour vous dire la puissance du patriarcat). Par ailleurs, je milite pour les autrices et les personnages féminins. Je fais partie de la commission « Autrices » des EGEET (Etats Généraux des Ecrivaines et écrivains de théâtre) : comme nous travaillions sur l’invisibilisation des femmes dans le théâtre vivant, j’ai dû témoigner de mon expérience avec les hommes de théâtre qui m’ont aidé à être qui je suis. Je travaille sur les personnages féminins, car au théâtre nous n’avons pas assez de rôles féminins, il faut inverser la machine. Au départ, dans La Passion de l’obéissance, il n’y avait que des personnages féminins et le kamikaze était un personnage totalement hors-scène, qu’on n’entendait pas. On m’a dit que mes personnages féminins sont en recherche, d’émancipation mais pas seulement, ils sont en recherche d’une pensée qui leur est propre. Je suis beaucoup influencée par des penseuses féminines : les femmes mystiques sont des penseuses. Simone Weil, Angèle de Foligno, Jeanne Guyon. Maître Eckhart, qui est un des plus grands penseurs lus aujourd’hui, s'est inspiré de Marguerite Porete (cela nous ramène au monde médiéval).

Béla Czuppon. Est-ce que ton rapport au réel est un rapport de transmutation ? L’idée de transport. On prend le réel et on l’amène ailleurs. Dans tes installations, on a ce transport. Une transmutation en or – pas au sens matériel bien sûr. Tu cherches toujours à nous emmener ailleurs, à trouver la parole qui vient d’un ailleurs. Ce qui est intéressant dans ton labyrinthe, c’est que d’un coup on a un rapport tout à fait significatif. Il faut trouver les chemins pour arriver au centre, comme dans L’Encercleur par exemple.

Lydie Parisse. Dans « transmutation », il y a l’idée que l’on transforme la « merde » en « or », c’est le rôle de l’écriture, de la vie aussi d’ailleurs. Les épreuves, les souffrances font partie de la vie, et on en fait de l’or, c’est cela vivre, c’est cela être vivant. Il faut revoir les définitions de la vie et de la mort. La mort ce n’est pas seulement s’éteindre, ce n’est pas seulement arriver au bout d’un corps qui ne fonctionne plus, la mort c’est ce qui nous guette à chaque instant quand nous capitulons. Proust écrivait que notre vie est faite de morts successives. Tu parles de « transmutation », je préfère le mot de « transfiguration ». C’est un mot qu’utilise Peter Handke dans Par les villages : un texte-culte, qui a donné le nom de la maison d’édition fondée par Jean-Luc Lagarce et François Berreur. Dans ce texte, Gregor est l’écrivain qui revient au village et qui va vivre une transfiguration. C’est cela pour moi, l’écriture : la mutation des représentations à travers des figures, une traduction de la réalité. Mais je comprends ce que tu veux dire par « transmutation », c’est un travail qui s’opère chez moi par le biais des objets. L’expression renvoie aussi à la pensée magique, qui m’est assez étrangère, car je suis très rationaliste, c’est pour cela d’ailleurs que j’aime la pensée des grands mystiques, que René Daumal qualifiait de « rationalistes supérieurs ».

Béla Czuppon. Dans tes installations sur les chambres, il y a le regard qui transforme, qui a une action sur le réel. Le mouvement du regard qui va vers le réel et qui le change. A travers le jeu de miroirs de la caméra, on ne voit pas chacun les mêmes choses, mais quand même, il y a ce travail qui est en train de se faire, quelque chose qui change.

Lydie Parisse. J’écris pour exercer une action. C’est ce que je cherche. Une action de modification chez la personne qui lit, qui regarde, qui écoute. L’écriture, c’est un déplacement, c’est un partage. On part d’un point, on arrive à un autre, et on partage cette expérience. A quoi ça sert d’écrire si ce n’est pas pour bouger quelque chose, pour s’attaquer au mystère, à ce qui résiste ?  Sinon, pour l’ actualité, il y a les journalistes, je les lis aussi mais c’est un autre travail.

 

Florence Thérond. Nous allons maintenant nous tourner vers le public pour les questions.

 

Question du public. Est-ce que la chambre, telle que vous l’entendez, est là pour nous faire sortir de notre zone de confort ou pour amener une sécurité intérieure ?

 

Lydie Parisse. La chambre est le lieu du for intérieur, c’est-à-dire l’image de notre conscience, d’un espace de retrait qu’on ne peut pas nous prendre, une capacité de contemplation qui peut agir toujours et partout, par laquelle nous pouvons par exemple demeurer intérieurement seuls au milieu d’une foule. Il s’agit de la recherche d’un ancrage à l’intérieur de soi pour pouvoir aborder le monde. Sans un sentiment de sécurité intérieure, nous ne pouvons pas exercer notre conscience, nous ne pouvons pas être vraiment présents, nous ne pouvons pas conserver notre esprit critique, nous ne pouvons pas rester dans la souplesse, entre l’immobilité et le mouvement. 

 

Question du public. Que pensez-vous de l’exercice, courant aujourd’hui, de commentaire de leur propre travail par les auteurs ? C’est comme si les livres ne se suffisaient pas à eux-mêmes et qu’il fallait que l’auteur les explique.

Lydie Parisse. Mais c’est qu'aujourd'hui les gens ont besoin de voir les auteurs. L’image de l’auteur est en constante mutation. Les interviews d’auteurs servent aussi à la promotion des livres, bien sûr. L’exercice de l’interview n’est pas intéressant au sens où il explique l’oeuvre, mais au sens où il développe une réflexion sur les processus. Qu’est-ce qu’écrire ? Il y a là des notions à explorer. Il nous manque des éléments dans ce domaine. Qu’est-ce que créer, et se créer en même temps ? Qu’est-ce qui est vivant dans la création ? Cette question intéresse tout le monde.

 

Question du public. Dans l’une de vos vidéos, on entend un morceau de Joy Division, quelle est l’importance de cette musique pour vous ?

Lydie Parisse.  Ce groupe est un groupe marquant pour moi. Dans le rock de ces années-là, il y a eu de véritables poètes, le rock de ces années-là est pour moi lié à la poésie. Le « no future » de ces années-là est remarquablement intéressant. Un chercheur a établi des liens entre la littérature de la fin du XIXe siècle et cette époque du rock. Une époque qui concernait également Lagarce. Voyez sur internet les déclarations du chanteur du groupe rennais Marquis de Sade, Philippe Pascal (mort en 2019), et comment il se réclamait de la littérature du XIXe siècle.

Florence Thérond. Une dernière question? ou remarque?

Yves Gourmelon. L’œuvre de Lydie me fait songer à l’œuvre de Robert Pinget, toute son œuvre repose sur une matrice invisible, des romans non publiés - pour des raisons circonstancielles et aussi par choix – et qui servent de fondation à tous ses textes.

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