LA PASSION DE L'OBEISSANCE
Texte en cours d'écriture et spectacle en cours de création
Avec Ludivine Bluche, Audrey Joussain, et la voix de Grégoire Seners.
un duo féminin mère-fille, un oratorio
qui évolue parfois en récital de chansons
paroles adolescentes, secrets familiaux,
victimes ordinaires du terrorisme
Une première étape de chantier a été présentée devant des publics et des professionnels chaleureux, en sortie d'une résidence à SORTIE OUEST à Béziers le 9 février 2018, et au Théâtre dans les Vignes à Couffoulens le 10 février 2018. Puis le travail a été interrompu car nous avons dû nous consacrer en parallèle à la création du spectacle Les Eblouis (2019).
Liens vers le teaser (sortie de résidence, images de répétitions)
https://vimeo.com/397316824
Des images et extraits du texte sont visibles au bas de cette page.
Ce sera une forme musicale, un oratorio.
Des extraits de la pièce ont déjà été lus au festival d’Avignon 2016 et 2017 dans le cadre de « Voyages d’auteurs » à Présence Pasteur.
En 2006, alors qu’on enregistrait sa voix pour le premier texte de théâtre de Lydie Parisse, L’Encercleur, Gabriel Monnet a dit : « S’il y avait une pièce à écrire, et si j’avais ta plume, j’écrirais une pièce sur ce thème : rencontrer l’âme du théâtre et que ça soit un assassin du 11 septembre. » Dans L’Encercleur, on avait enregistré Gaby Monnet qui interprétait de sa voix caverneuse un texte sur les trous noirs : « Dans un trou noir, si votre montre marque une minute, cela vaut une éternité sur la terre. Vous regardez votre montre et déjà vous êtes depuis longtemps mort. Même sans la regarder vous êtes mort. Même sans porter de montre vous êtes mort. Le simple fait d’être né vous expose à la mort.» La Passion de l’obéissance peut peut-être se lire aussi comme un hommage à Gabriel Monnet.
LA PASSION DE L’OBEISSANCE est un duo féminin mère-fille, qui intègre la parole de deux autres personnages. Le récit commence par le témoignage d'Odette, la mère, survivante d’un attentat (fictif) au Maghreb, puis s’opère un retour en arrière dans le passé. Nous sommes dans un milieu modeste : c’est le jour de la fête des mères, et pour cadeau, les filles offrent à leur mère Odette un voyage organisé à Ouarzazate. Ce voyage va s’avérer désastreux puisqu’un attentat aura lieu précisément dans l’hôtel où Odette se trouvait au bord de la piscine, avec une jeune fille qui lui tenait compagnie, la rescapée de Ouarzazate. Celle-ci survivra à l’attentat : le corps d’Odette, tombé sur elle, constituera un rempart contre les balles. Le kamikaze qui a fait ça aura, dans un éclair, à peine eu le temps de reconnaître sa mère dans la femme blonde qu’il tuait. Bien avant cet épisode, Pétunia, adolescente révoltée, fille d’Odette et sœur du jeune kamikaze, aura eu le temps de rencontrer ce frère qu’elle n’avait jamais vu.
Lydie Parisse travaille sur les personnages féminins, c’est pourquoi la pièce est un duo mère–fille, incarné par deux actrices qui donnent l’étendue de cette parole, souvent inouïe, dans un équilibre entre le jeu et le non jeu, entre le dialogue et le récital. Le spectacle est un oratorio sur une musique « post-rock » du groupe Columbus duo. L'écriture de Lydie Parisse mêle en général le comique et le tragique, et c’est pourquoi cette machine en marche qui va broyer les personnages est teintée de moments de légèreté : Odette se livre à plusieurs reprises, et avec entrain, à un karaoké sur une chanson de Mireille Mathieu ; elle et sa fille Pétunia se chamaillent et vivent aussi des moments de tendresse ; Odette est drôle en consommatrice inexpérimentée du tourisme de masse.
Le but est d’entrer dans la conscience de personnes ordinaires.
Le titre. L'obéissance se distingue de la soumission, comme l'a analysé Simone Weil. La soif de l’obéissance ressurgit aujourd’hui chez des jeunes qui paradoxalement, comme le souligne Pascal Ory, mêlent individualisme radical et nihilisme, à travers une quête extrême, sacrificielle, de l’effacement de soi : obéir à des ordres, se soumettre à un destin, nier cette vie au profit d’une autre vie dans un au-delà hypothétique, telles sont les données du grand saut effectué par les kamikazes. Quant à la passion, elle nous ramène au sens étymologique de patio (qui veut dire « souffrir »). Ce qui intéresse Lydie Parisse, ce sont les formes de la perte de soi.
La naissance du jeune frère s'explique par des sombres secrets de famille que conserve peut-être le pommier du jardin.
Pourquoi Ouarzazate ? Peut-être à cause des portes du désert. Un désert dont on ne revient pas. Un désert peuplé et aveuglant à la fois.
Les victimes anonymes sont présentes à travers la jeune fille qui est une sorte de double féminin de Pétunia, elle a le même âge, elle est une figure de rescapée.
EXTRAITS DU TEXTE EN COURS D'ECRITURE.
UN.
Dans le présent.
LA RESCAPEE DE OUARZAZATE.– J’étais au bord de la piscine
Dès les premières rafales on s’est allongés au sol
Elle a été touchée, me suis abritée sous son corps
L'ai vue cesser de respirer
J’ai vu le jeune qui s’amusait vraiment
Dès qu’il croisait le regard de quelqu’un lui tirait une balle dans la tête
Pourquoi elle est morte et pas moi ?
Depuis ne peux plus croiser des personnes dans la rue
Peur qu’elles viennent finir le travail
Vous êtes les premiers humains que je vois
Vis terrée contre mon radiateur Et la nuit vers trois heures
Toujours le même cauchemar Sors à nouveau dans les bars
Mon rimmel coule sur mes larmes
Impression de porter un masque.
Pourquoi elle est morte et pas moi ?
Ne me sépare plus de ce fortune cookie porte bonheur
A l’intérieur du papier doré le cookie est cassé en mille morceaux
Seul lien qui me reste avec les silhouettes dorées
Des victimes sous leurs couvertures de survie
Nous sommes des survivants
Vous êtes des survivants
Vous ne l’aviez pas remarqué ?
Toute la journée dessine des mandalas pour remettre de l’ordre dans le monde
Dans mon monde
Colorie les périphéries puis le centre
Chaque couleur a un sens
Chaque couleur cherche à atteindre quelque chose en moi
Quelque chose de perdu
D’endormi
Ai arrêté de m’habiller en noir Le noir c’est fini
M’habille de toutes les couleurs Tant pis si je ressemble à un clown
Reste enfermée dans mon appartement collée au radiateur
Regarde des films en couleurs Ecoute du rock
Peux plus sortir Vois les gens comme des ennemis
Des criminels
Pourquoi elle est morte et pas moi ?
Toutes les nuits à la même heure je me réveille
Toutes les nuits
À la même heure
Toutes les nuits le même rêve
DEUX.
Dans le passé.
ODETTE. – Aujourd’hui c’était la fête des mères
De toutes les mères
Mes filles ont fait une photo de moi
C’est dimanche
On a fait un bon repas avec les enfants et petits enfants
Je me suis mise devant la fenêtre ouverte de ma cuisine
Devant un beau géranium rouge
J’aime beaucoup les géraniums
C'est ma petite qui venait de me l’offrir
Il fait beau
Le ciel est bleu L'herbe luit
J'ai l’air d’une vieille femme paisible
D'une femme ordinaire
Comme toutes les autres,
Je suis bien coiffée J’ai gardé mes cheveux teints en blond
Je trouve que c’est pratique pour camoufler les cheveux blancs
Je porte mes lunettes d’or et de diamants
Un sobre pull blanc Un pantalon marron
Ma cuisine est bien tenue Mes casseroles bien astiquées
Mes torchons sèchent en bonne place
Je souris
Et ce sourire est de défi
Je me moque d’eux
De mes frères et de mes sœurs
Jamais pris de mes nouvelles
Me croient loin
J'aimerais leur dire que je suis là
Tout près
Que je n’ai même pas à me cacher
Bien fait pour eux
Je n’ai pas fui la région de mon enfance
voyez le paysage à la fenêtre
Voyez les vaches
Comme elles paissent paisiblement sous mon pommier
Cette photo que vous prenez
Mes filles
Ils ne la verront jamais
Eux qui ont tout oublié jusqu’à mon prénom
Eux dont je ne suis pas sûre qu’ils existent
Qu’ils aient existé
Aujourd’hui c’est la fête des mères et devant ma fenêtre ouverte
J'ai l’air d’une mère comme les autres
Et pourtant moi seule le sais
Le plus dur c'est d'accepter de ne jamais savoir
Si tes souvenirs sont vrais ou faux
Aujourd’hui c’était la fête des mères
Demain je serai à Ouarzatate
Les portes du désert 42 degrés à l’ombre
Mon cadeau de fêtes des mères
Et puis je reviendrai à l’ombre de mon pommier
Rien que pour les provoquer