LA PASSION DE L'OBEISSANCE
Texte en cours d'écriture et spectacle en cours de création
Avec Ludivine Bluche, Audrey Joussain, et la voix de Grégoire Seners.
Première étape de chantier présenté après une résidence à SORTIE OUEST à Béziers le 9 février 2018, et au Théâtre dans les Vignes à Couffoulens le 10 février 2018.
Lien vers le teaser du premier chantier.
Des images et extraits du texte sont visibles sur cette page.
Ce sera une forme musicale, un oratorio. Sur la musique du groupe Columbus duo.
Des extraits de la pièce ont déjà été lus au festival d’Avignon 2016 et 2017 dans le cadre de « Voyages d’auteurs » à Présence Pasteur.
En 2006, alors qu’on enregistrait sa voix pour mon premier texte de théâtre, L’Encercleur, Gabriel Monnet m’a dit : « S’il y avait une pièce à écrire, et si j’avais ta plume, j’écrirais une pièce sur ce thème : rencontrer l’âme du théâtre et que ça soit un assassin du 11 septembre. »
Dans L’Encercleur, il interprète de sa voix caverneuse un texte sur les trous noirs, où il est question de la mort. Sa voix, aujourd’hui, quand on l’entend dans le spectacle, sa voix est devenue un voix d’outre-tombe, qui nous étreint, qui nous émeut : « Dans un trou noir, si votre montre marque une minute, cela vaut une éternité sur la terre. Vous regardez votre montre et déjà vous êtes depuis longtemps mort. Même sans la regarder vous êtes mort. Même sans porter de montre vous êtes mort. Le simple fait d’être né vous expose à la mort.»
Voilà pourquoi, peut-être, la fait d’avoir écrit La Passion de l’obéissance me paraît a posteriori, aujourd’hui, comme un hommage à Gabriel Monnet.
LA PASSION DE L’OBEISSANCE porte sur les victimes anonymes d’attentats, sur la perte de soi, sur la rage de vivre propre à la jeunesse. La pièce raconte une histoire où interviennent quatre personnages. Le récit commence par le témoignage d’une survivante d’un attentat (fictif) au Maghreb, puis s’opère un retour en arrière dans le passé. Nous sommes dans un milieu modeste : c’est le jour de la fête des mères, et pour cadeau, les filles offrent à leur mère Odette un voyage organisé Carrefour à Ouarzazate. Ce voyage va s’avérer désastreux puisqu’un attentat aura lieu précisément dans l’hôtel où Odette se trouvait au bord de la piscine, avec une jeune fille qui lui tenait compagnie, la rescapée de Ouarzazate. Celle-ci survivra à l’attentat : le corps d’Odette, tombé sur elle, constituera un rempart contre les balles. Le kamikaze qui a fait ça aura, dans un éclair, à peine eu le temps de reconnaître sa mère dans la femme blonde qu’il tuait. Bien avant cet épisode, Pétunia, adolescente révoltée, fille d’Odette et sœur du jeune kamikaze, aura eu le temps de rencontrer ce frère qu’elle n’avait jamais vu.
Je travaille sur les personnages féminins, c’est pourquoi la pièce est un duo mère–fille, incarné par deux actrices exceptionnelles, qui donnent l’étendue de cette parole, souvent inouïe, entre le jeu et le non jeu, la diction, le chant, l’incarnation. C’est un oratorio sur une musique « post-rock » du groupe Columbus duo. Je suis moi-même issue de la culture rock et ai toujours rêvé de produire un oratorio-rock, c’est chose faite. Mon écriture mêle en général le comique et le tragique, et c’est pourquoi cette machine en marche qui va broyer les personnages est teintée de moments de légèreté : Odette se livre à un karaoké sur une chanson de Mireille Mathieu, elle et sa fille Pétunia se chamaillent et vivent aussi des moments de tendresse, Odette est drôle en consommatrice inexpérimentée du tourisme de masse. Le but est d’entrer dans la conscience de personnes ordinaires.
Depuis longtemps je rêvais d’un texte qui aurait pour titre LA PASSION DE L’OBEISSANCE. Si selon Jacques Rancière, « le réel doit être fictionné pour être pensé », il nous faut intervenir collectivement sur nos modes de fiction, sur nos manières de raconter, de s’approprier notre expérience, notre ressenti face à ce qui se passe ici et dans le monde. Plus que jamais, face à l’hégémonie du discours des médias, la parole des artistes, des poètes, des écrivains est importante car elle est porteuse d’un autre mode de connaissance du réel.
La soif de l’obéissance ressurgit aujourd’hui chez des jeunes qui paradoxalement, comme le souligne Pascal Ory, mêlent individualisme radical et nihilisme, à travers une quête extrême, sacrificielle, de l’effacement de soi : obéir à des ordres, se soumettre à un destin, nier cette vie au profit d’une autre vie dans un au-delà hypothétique, telles sont les données du grand saut effectué par les kamikazes. Dans le cas du kamikaze, l’obéissance devient passion, au sens d’engagement, mais aussi au sens étymologique de patio (qui veut dire « souffrir »). Depuis des années, je travaille sur les formes de la perte de soi, c’est mon sujet de recherche. J’avais donc ici un thème de choix.
Je crois que cette pièce s’adresse à tous et en particulier aux jeunes, qui vivent dans une culture de la violence et cherchent une alternative à cette culture. Dans la pièce, le contexte familial nous rappelle que le passage à l’acte peut concerner nos proches, et en même temps, la trajectoire des personnages est tellement improbable qu’elle nous ramène à l’univers des tragédies grecques, mais à réinterpréter en fonction de notre sensibilité d’aujourd’hui. Au début, j’avais souhaité faire du kamikaze un personnage totalement hors-scène. Finalement, s’il ne sera pas incarné sur scène, on entendra sa voix post-mortem dans une scène unique, une scène qui évite les clichés et ressemble plus à une méditation métaphysique sur l’après-mort et sur les âges de l’humanité.
La pièce comprend aussi un autre personnage de jeune fille, qui est une rescapée de l’attentat fictif à Ouarzazate et porte une parole de la résilience. Le personnage n’est pas incarné sur scène : sa parole est portée par Pétunia, qui ne la connaît pas et lit ses messages.
Lydie Parisse
EXTRAITS DU TEXTE EN COURS D'ECRITURE.
UN.
Dans le présent.
LA RESCAPEE DE OUARZAZATE.– J’étais au bord de la piscine
Dès les premières rafales on s’est allongés au sol
Elle a été touchée, me suis abritée sous son corps
L'ai vue cesser de respirer
J’ai vu le jeune qui s’amusait vraiment
Dès qu’il croisait le regard de quelqu’un lui tirait une balle dans la tête
Pourquoi elle est morte et pas moi ?
Depuis ne peux plus croiser des personnes dans la rue
Peur qu’elles viennent finir le travail
Vous êtes les premiers humains que je vois
Vis terrée contre mon radiateur Et la nuit vers trois heures
Toujours le même cauchemar Sors à nouveau dans les bars
Mon rimmel coule sur mes larmes
Impression de porter un masque.
Pourquoi elle est morte et pas moi ?
Ne me sépare plus de ce fortune cookie porte bonheur
A l’intérieur du papier doré le cookie est cassé en mille morceaux
Seul lien qui me reste avec les silhouettes dorées
Des victimes sous leurs couvertures de survie
Nous sommes des survivants
Vous êtes des survivants
Vous ne l’aviez pas remarqué ?
Toute la journée dessine des mandalas pour remettre de l’ordre dans le monde
Dans mon monde
Colorie les périphéries puis le centre
Chaque couleur a un sens
Chaque couleur cherche à atteindre quelque chose en moi
Quelque chose de perdu
D’endormi
Ai arrêté de m’habiller en noir Le noir c’est fini
M’habille de toutes les couleurs Tant pis si je ressemble à un clown
Reste enfermée dans mon appartement collée au radiateur
Regarde des films en couleurs Ecoute du rock
Peux plus sortir Vois les gens comme des ennemis
Des criminels
Pourquoi elle est morte et pas moi ?
Toutes les nuits à la même heure je me réveille
Toutes les nuits
À la même heure
Toutes les nuits le même rêve
DEUX.
Dans le passé.
ODETTE. – Aujourd’hui c’était la fête des mères De toutes les mères
Mes filles ont fait une photo de moi
C’est dimanche
On a fait un bon repas avec les enfants et petits enfants
Je me suis mise devant la fenêtre ouverte de ma cuisine
Devant un beau géranium rouge J’aime beaucoup les géraniums
C'est ma petite qui venait de me l’offrir
Il fait beau Le ciel est bleu L'herbe luit
J'ai l’air d’une vieille femme paisible
Une femme ordinaire
Comme toutes les autres,
Je suis bien coiffée J’ai gardé mes cheveux teints en blond
Je trouve que c’est pratique pour camoufler les cheveux blancs
Je porte mes lunettes d’or et de diamants
Un sobre pull blanc Un pantalon marron
Ma cuisine est bien tenue Mes casseroles bien astiquées
Mes torchons sèchent en bonne place Je souris
Et ce sourire est de défi
Je me moque d’eux
De mes frères et de mes sœurs
Jamais pris de mes nouvelles
Me croient loin
J'aimerais leur dire que je suis là
Tout près
Que je n’ai même pas à me cacher
Bien fait pour eux
Je n’ai pas fui la région de mon enfance
voyez le paysage à la fenêtre Voyez les vaches
Comme elles paissent paisiblement sous mon pommier
Cette photo que vous prenez Mes filles
Ils ne la verront jamais
Eux qui ont tout oublié jusqu’à mon prénom
Eux dont je ne suis pas sûre qu’ils existent
Qu’ils aient existé
Aujourd’hui c’est la fête des mères et devant ma fenêtre ouverte
J'ai l’air d’une mère comme les autres
Et pourtant moi seule le sais
Le plus dur c'est d'accepter de ne jamais savoir
Si tes souvenirs sont vrais ou faux
Aujourd’hui c’était la fête des mères Demain je serai à O
Voyage Carrefour Les portes du désert 42 degrés à l’ombre
Mon cadeau de fêtes des mères
Et puis je reviendrai à l’ombre de mon pommier
Rien que pour les provoquer